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samedi 24 décembre 2011

« Le bonheur c'est d'avoir dix ans et de lire un Spirou perché en haut d'un arbre. »


« Il a neigé toute la nuit sur le Sablon. Un évènement attendu avec impatience et joie par tous les gamins du quartier. Au matin, les cris de ma sœur ont remplacé mon vieux réveil. « Le sol est tout blanc, il a neigé ! » Je me précipite à mon tour à la fenêtre, j'ouvre les persiennes métalliques pour contempler un merveilleux spectacle.

Tout est blanc, le grand terrain derrière la maison, les arbustes, les buissons, les toits, la rue et les voitures. Une couche immaculée d'une trentaine de centimètres recouvre la ville. Le docteur Hilaire gratte le pare-brise de sa Citroën tandis que Monsieur Gerbert dégage l'escalier de sa maison.

Je m’habille plus chaudement que d'habitude enfilant manteau, bottes fourrées, gants et cagoule. En route ! Huit cent mètres environ nous séparent de l'école. En sortant de l'immeuble je suis accueilli par une boule de neige lancée par mon copain Patrick. Première bataille de la journée. Chantal et Mimi arrivent à leur tour ainsi que ma sœur. L'intervention énergique de ma mère a mis fin à cette échauffourée. Ne pas être en retard. Nous partons. Nos bottines s'enfoncent profondément dans la neige fraîche. Les voitures roulent lentement et les passants marchent prudemment.

Nous arrivons enfin dans la cour de récréation où les instituteurs tentent de maintenir un semblant d'ordre. Nous sommes surexcités. Glissades, bonhommes de neige, batailles de boules. Que des jeux strictement interdits par le règlement. Les coups de sifflets fusent sans que personne n’y prête attention. Je ramasse de la neige et me prépare à la lancer quand j’aperçois, dans les yeux de mes copains, une expression de terreur. Est-ce l'idée de recevoir le projectile ? Je m’étonne de faire autant d'effet à mes petits camarades qui s'enfuient comme si j'étais le diable en personne. Soudain un choc très violent sur ma joue gauche me fait perdre l'équilibre.

Je me retrouve à terre, un peu sonné, couché dans l'humidité glacée de la neige déjà transformée en boue. A dix centimètres de mon visage, deux chaussures noires. Modèle administration d'une pointure certainement supérieure au 46. Je lève légèrement mes yeux jusqu'à l'ourlet d'un pantalon gris sombre. Tout en haut un visage fermé, les sourcils épais froncés sur deux yeux qui me fixent d'un air méchant. C’est Monsieur Schont, notre Directeur.

Sa venue inopinée dans la cour a, j’ose le dire, refroidi l'atmosphère ! Chacun rejoint son rang avant l’entrée en classe. Là où tous les instituteurs réunis échouent avec leurs sifflets et les menaces verbales, Monsieur Schont, lui, réussit. La politique de l'exemple. Prendre un gamin au hasard, en l'occurrence moi, une mornifle, un regard vers les autres et le tour est joué. Très efficace comme méthode. Avec mes camarades je monte l'escalier en silence. Je suis trempé. En classe, le radiateur me prodigue une douce chaleur. L'instituteur entre. Les élèves se lèvent pour le saluer comme de coutume puis se rassoient. Sans véritable certitude, il me semble qu’il sort, avec les autres enseignants, du bureau du directeur. Avoinée pour tous.

En fin d'après-midi, une tradition particulièrement appréciée notamment en ces jours froids et humides: la distribution de chocolat chaud. L'idée vient du Président du Conseil de l'époque, Pierre Mendès France : « il faut servir du lait dans les écoles » disait-il. Bonne idée. Vers quinze heures le concierge entre en classe avec un grand bidon métallique. Distribution de tasses en aluminium remplies avec générosité par l’instituteur. Un bon chocolat bien chaud et bien crémeux. Son odeur nous fait déjà saliver.

Fin des cours, la cloche retentit. Nous sortons de l'école. Direction la maison. La neige n'est plus aussi blanche. Sur la chaussée, il ne reste qu'un mélange gris presque liquide. Nous nous arrêtons place de l'église pour une grande glissade. Retour chez nous. La nuit est fraîchement tombée. Après un passage dans la salle de bain, j'enfile des vêtements bien secs. Je regarde par la fenêtre. Chouette, il recommence à neiger. »


Extrait d’Historiettes Sablonnaises de Gérard Faure-Kapper, Editions Luthenay 2006

1 commentaire:

  1. Parfum d'enfance. Et je regrette tant que mon fiston, élevé au grain du net et aux violences des villes, ne connaisse plus ces images là que des livres...

    Le bonheur, c'est aussi d'avoir seize ans et écouter Led Zep dans une chambre sombre. Ou de marcher dans Paris, avec un jeune poète, et de réciter Ophélie...

    Le bonheur, c'est aussi d'avoir trente ans et caresser la tête de son premier enfant. Ou de courir vers la gloire, en working girl ailée.-je voulais écrire "de courir vers la ville où se cahe un amant", mais mes proches vont encore dire que c'est vrai!

    Le bonheur, c'est aussi d'avoir cinquante ans et de ne plus avoir peur de la fonte des temps.

    Sabine Aussenac

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