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lundi 18 juillet 2011

Interview de Gérard Faure-Kapper sur le sur endettement des ménages et leur exploitation par les banques.


Interview de Gérard Faure-Kapper, écrivain et auteur du livre « L’affaire de Paris Convention » sur le sur endettement des ménages et leur exploitation par les banques.

Q
– Gérard Faure-Kapper vous avez écrit de nombreux articles sur le surendettement. Alors une première question, pourquoi et comment beaucoup de ménages en sont arrivés à cette situation ?

R
– La consommation a explosé sous l’effet d’une communication publicitaire de plus en plus élaborée et de vendeurs formés à la manipulation psychologique. Vendre, consommer, c’est devenu si facile avec le crédit. Chaque jour, dans toutes les boîtes aux lettres, s’entassent des propositions financières : vous avez besoin de 5.000, 10.000, 20.000 euros ou plus ? Cochez la case et renvoyez le bon. Ne le remplissez pas, il est déjà à votre nom. Ne cherchez pas d’enveloppe, elle est fournie. Ne mettez pas de timbre, c’est en franchise. Et si vous ne voulez pas vous déplacer, appelez ce numéro de téléphone, surtaxé bien entendu.

Q
– Et l’argent tombe comme ça ?

R
– Oui, et il repart, la publicité le fait consommer, et il se réinjecte dans l’économie, et il retourne dans un autre foyer. Le mouvement est perpétuel et n’est limité que par la capacité à rembourser.

Q
– C’est l’euphorie alors ?

R
– C’est l’euphorie jusqu’au jour où… les remboursements deviennent de plus en plus lourds, les déblocages ne suffisent plus pour payer les mensualités, le découvert en banque augmente encore plus.

Q
– Que se passe-t-il alors ?

R
– Le cauchemar commence. Les échéances ne sont plus payées. Les lettres de relance remplacent les offres. Le portable sonne de plus en plus fréquemment à tout moment et en tous lieux. A l’autre bout, une voie agressive, menaçante, martèle le même discours : payez, sinon… Payez ! Payez ! Payez !

Q
– Et le conflit avec la banque commence. Vous avez écrit que, je cite, « la banque est certainement devenue la corporation la plus détestée en France actuellement ». Pourquoi ce phénomène ? Pourquoi chaque jour, des millions de Français haïssent ces établissements qui devraient être plutôt leur partenaire ?

R
– Parce que c’est sur les difficultés des gens que les banques vont vraiment s’enrichir, en achevant leur victime, en les ponctionnant jusqu’à leurs limites extrêmes. Frais d’intervention, frais de relance, frais d’impayés, frais de recommandés, frais de… peu importe, frais tout court.

Q
– A quoi ressemble alors la vie de cette famille ?

R
– L’enfer. Ils ont des revenus, un travail, quelques bien mais ne peuvent que survivre dans le stress. Ce stress permanent, l’angoisse de voir poindre le soleil au petit matin, de se lever et de savoir qu’à partir de 9 heures le téléphone va sonner pour des insultes et de l’agressivité. L’angoisse de voir le facteur venir jusqu’à la porte, sonner et tendre un recommandé. Encore des insultes et des menaces. Ne plus pouvoir regarder son conjoint en face, devenir irascible, ne plus supporter le regard de ses enfants qui ne comprennent pas toujours la situation, surtout s’ils sont petits. Ne plus oser appeler ses parents, ses frères ou sœurs car bien sûr ils ont emprunté dans la famille.

Q
– Ce stress s’installe ?

R
– Oui et il est toujours présent lorsqu’ils ouvrent internet pour voir leurs comptes. Ils découvrent encore des refus et surtout des frais, des frais gigantesques sans aucun rapport avec les sommes impayées.

Q
– Ces gens ont-ils essayé de s’en sortir ?

R
– Bien sûr ils ont même tout essayé, notamment les courtiers en rachat de crédit qui promettent des diminutions de mensualité jusqu’à 60%. Seulement le dossier se termine invariablement dans une banque et les critères sont toujours les mêmes.

Q
– Effectivement…

R
– Plus de consommation, plus de vacances, plus rien, le néant. Le dimanche ils refusent à la petite dernière un tour de manège à 2 euros, ils refusent une glace à 3 euros pour économiser. Ils font leurs courses en faisant très attention aux étiquettes, toujours pour grapiner quelques euros ça et là. Peut-être le plus difficile est de regarder son enfant à qui l’on a donné une pièce de 2 euros, de voir ses yeux illuminés de joie en mettant cette pièce dans sa tirelire, en recomptant indéfiniment son argent économisé : 2 euros plus 5 euros plus 1 euro plus 10 euros, ça fait… 18 euros, c’est beaucoup pour acheter un jouet. Et le lundi matin l’extrait bancaire sur internet indique des frais d’intervention pour 25 euros, un nouveau courrier à 19 euros, des frais de refus pour 4 fois 35 euros, des frais de contentieux de 60 euros, ça fait… 244 euros dans la poche de la banque. C’est beaucoup et combien semblent dérisoires les 18 euros de la tirelire et les 5 ou 6 euros refusés à son enfant.

Q
– Quand même, ces gens sont responsables aussi. Ils ont acheté une maison, une voiture trop chère, les meubles, l’écran plat, les vacances, les activités des enfants, tout le reste…

R
– Oui certes, ils ont consommé. Ils se sont surendettés, Oui ils se sont mis tous seuls dans cette situation. Mais ces gens veulent payer ce qu’ils doivent, ils peuvent payer tout ce qu’ils ont et il n’est pas question de faire payer celui qui économise sous par sous en se privant.

Q
– Nous avons parlé du problème, mais quelles sont les solutions ?

R
– La solution me saute aux yeux. Pour une famille en difficulté les frais bancaires, rien que ces frais, je ne parle pas des intérêts, représentent une moyenne entre 300 et 500 euros par mois. Cette somme représente la mensualité d’une somme empruntée de l’ordre de 40.000 euros sur 12 ans à un taux normal. Cette somme serait souvent suffisante pour racheter tous les autres crédits. Alors pour cette famille, la vie redeviendrait normale, elle rembourse ce qu’elle doit avec les intérêts et assume ainsi ses responsabilités.

Q
– Mais pour qu’ils ne replongent pas il faudrait un fichier central interdisant tout nouvel endettement ?

R
– Oui, je le pense.

Q
– Alors, pourquoi les banques ne suivent pas ?

R
– Cette solution simple et évidente pour n’importe quel professionnel ne fait pas l’affaire des banques, c’est pour cela qu’elles la refusent. Effectivement, il est plus rentable de prélever 20 % d’intérêts et des frais énormes que se contenter de 7 ou 8 %.

Q
– Néanmoins les banques doivent rester dans les rails, si leurs actions étaient illégales, vous imaginez tous les procès qu’elles devraient subir ?

R
– Biens sûr qu’elles sont illégales ces actions et alors ? Cela ne pose aucun problème, la banque raisonne ainsi : le client n’a plus un centime et s’il en avait un, alors la banque lui prend. Comment peut-il payer les 2 ou 3.000 euros nécessaires à un avocat, comment peut-il même porter plainte car souvent il ignore tout des procédures. Et puis il pense que la banque est certainement dans son droit, qu’elle doit avoir des cabinets entiers d’avocats qui travaillent pour elle jour et nuit.

Q
– Ce n’est pas le cas ?

R
– Non, la banque n’a pas ces cabinets d’avocats sortis tout droit d’une série américaine. Elle n’en a pas besoin. Sur 100 personne, 40 vont protester, 20 vont menacer, 10 vont porter plainte, 5 prendront un avocat, 1 seul aura gain de cause. Alors pour celui-là la banque paiera. Elle aura gagné sur les 99 autres.

Q
– Vous pensez que c’est un calcul ?

R
– Oui, la banque ne va jamais jusqu’au tribunal, elle se ferait étriper par le juge et elle le sait. C’est d’autant plus vrai si le juge est lui-même une victime des banques. La route est libre. La banque sait qu’elle fait la loi, qu’elle impose sa loi. Elle peut ainsi vider chaque jour les comptes de ses clients en toute impunité, à commencer par les plus faibles et les plus vulnérables.

Q
– Vous pensez que les pouvoirs publics sont inactifs ?

R
– Notre société est en crise mais une solidarité s’instaure entre ses membres, tous font des efforts. L’État accorde-t-il une augmentation du smic de 30 euros, la banque le prélève dans la journée. Pour quel motif ? Peu importe, frais internet, commission de compte ou même frais tout simplement.

Q
– Des services comme EDF ou la RATP hésiteront avant d’imposer une augmentation de leurs tarifs. D’après vous les banques n’hésitent pas ?

R
– Elles vivent en dehors des crises puisqu’elles les provoquent et en vivent. Elles ont l’argent donc le pouvoir, elles font leurs propres lois qu’elles imposent. Les banques sont devenues le vrai Pouvoir.

Q
– Que peuvent faire les pouvoirs publics, l’institution judiciaire, les hommes politiques, rien ?

R
– Ils ne peuvent rien faire. Peut on imaginer un député faire une croisade contre le système ? Non, impossible.

Q
– Et que font les banques de tout cet argent, le réinjectent-elles dans l’économie comme c’est leur rôle ?

R
– Non bien-sûr. Il sert de joujou aux traders, il sert à verser des dividendes aux actionnaires, il sert à payer des parachutes dorés, il sert à verser des salaires hallucinants à leurs dirigeants. Il ne sert pas à la France.

Q
– Pourtant si vous regardez leur publicité, il n’y a que des clients « heureux de chez heureux ».

R
– J’avais remarqué à la vitrine de la BNP des grandes affiches. On pouvait y voir une quinzaine d’artisans et de commerçants. Un boucher avec son tablier maculé de sang, un plombier avec sa salopette bleu et la clef à tube de 23 dont il ne se sépare jamais, le coiffeur, un peigne derrière l’oreille, la boulangère avec sa baguette, la fleuriste, avec des fleurs, bien évidemment. Et tout ce petit monde souriait aux anges, le bonheur était là, l’avenir était radieux. Pourquoi ? Parce qu’une banque les avait rencontrés, les avait écoutés, avait pris en compte leurs problèmes, leur avait financé leur exploitation. C’est pour ça qu’ils étaient si heureux sur l’affiche ces entrepreneurs qui font la fierté du pays. A ce moment, je vis un client sortir de l’agence et passer devant la vitrine. Le front plissé par les soucis, les yeux dans le vide, le visage désespéré. Il est monté dans une vieille camionnette. C’était probablement un artisan. Il n’était pas aussi heureux que ceux de l’affiche, loin s’en faut. Probablement que son prêt avait été refusé, son découvert annulé, son chéquier retiré, sa carte détruite et les seules écritures sur son compte étaient des frais dantesques.

Q
– L’affiche c’était le rêve et cet artisan la réalité. Voila le discours des banques. Mais je vous repose la question, que peuvent faire les pouvoirs publics ?

R
– Il y a chaque année 160.000 tentatives de suicide, soit une toutes les 3 minutes et 12.000 suicides réussis, soit un chaque 45 minutes. Les pouvoirs publics ont su diminuer l’hécatombe sur les routes en passant de 17.000 morts en 70 à 4.000 actuellement grâce à une répression impitoyable. Ils ont su diminuer le nombre de cancers avec des actions appropriées contre les fumeurs. Des campagnes de prévention permettent également de diminuer les diverses mortalités.

Q
– Que font-ils pour diminuer le nombre de suicides d’après-vous ?

R
– Pas grand-chose. Alors, je me permets une suggestion. Après chaque suicide il faut que la justice examine systématiquement l’extrait de compte de la victime. Elle y trouvera toutes les raisons de la mort. Que la justice analyse chaque frais, qu’elle demande à la banque de s’expliquer et de ce justifier.

Q
– Vous pensez que les causes sont là, du moins en partie ?

R
– Dans l’immense majorité des cas, la raison se trouve dans l’extrait de compte. Alors que la banque soit mise en examen pour homicide « involontaire » comme le serait le conducteur un peu éméché. Un chirurgien qui oublie un morceau de coton dans l’estomac d’un patient ne pourra plus exercer et sera trainé devant les tribunaux pour un geste bien évidemment involontaire. Une banque qui pousse son client sous le métro en lui coupant tout espoir de vivre normalement n’a rien, elle ne sera même pas inquiétée.

Q
– Concrètement que voulez-vous dire ?

R
– Si les banques devaient répondre devant la justice des conséquences de leurs actes, si les Directeurs qui ont décidé d’achever leur client se retrouvaient en prison à ne plus oser ramasser leur savonnette dans les douches, alors les banques changeraient.

Q
– C‘est une image effectivement.

R
– A partir de ce moment, comme l’on comptabilise avec fierté la diminution du nombre de morts sur les routes, alors on comptabiliserait la diminution du nombre de suicides.

Q
– Les pouvoirs publics ne s’en préoccupent donc pas ?

R
– Ils continuent à leur verser des milliards pour payer leurs échecs dans des politiques aventureuses et leur permettre de continuer cette activité de racket organisé de l’économie de la France et de son peuple. Pire, l’État s’est porté garant des banques pour un montant équivalent à 38 fois le déficit de la sécurité sociale. Bien sûr, pas question de nationaliser ni même de participer aux conseils d’administration. L’État paye et s’en va.

Q
– Je vois, je vois.

R
– Maintenant les banques peuvent continuer leurs opérations hasardeuses. Si elles gagnent, les bénéfices seront distribués à leurs dirigeants, leurs traders et leurs actionnaires. Si elles perdent c’est le bon peuple qui paiera. Comble du sadisme, l’homme à l’origine de cette mesure nous assure que l’on fait encore une bonne affaire. En effet, en contrepartie les banques doivent jouer le jeu, faire leur métier qui consiste à financer l’économie. Déclarations d’intentions, chartes de bonne conduite, engagements la main sur le cœur.

Q
– Les banques ont respecté leurs engagements ?

R
– Évidemment il n’en a rien été et les banques ont continué leur racket légal sans débloquer les crédits nécessaires à la relance. C’était d’ailleurs le seul scénario possible. Sans mesure coercitive comment espérer que ces requins deviennent des poissons rouges.

Q
– Nous parlions du racket des surendettés mais les autres clients sont-ils concernés par ces problèmes ?

R
– Oui, plus personne n’est à l’abri. Il suffit que l’ordinateur fasse ressortir la non-rentabilité d’un compte pour que la banque mette en place tout le processus d’éviction. A partir de ce moment, tous les coups sont permis. L’objectif de la banque est de vous virer alors elle s’y emploiera avec zèle en pompant au maximum votre compte et en oubliant toutes les règles de droit même les plus élémentaires. Il suffit que vous ne plaisiez pas à un conseiller de clientèle pour que celui-ci décide d’anéantir votre famille et toute votre vie. Il en a le pouvoir et va l’user de plus en plus fréquemment.

Q
– Eh bien ! Vous n’incitez pas à l’optimisme. Ce sera donc le mot de la fin. Gérard merci beaucoup d’avoir accepté de parler de ces problèmes graves. Je rappelle la sortie de votre dernier livre « les banques, vers une dictature absolue ». Je remercie les auditeurs de nous avoir suivis. Vous pourrez retrouver cette émission sur notre site. Merci à tous.

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